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Cycle de séminaires ICPP

Mardi 1er octobre 2024 à 14h00 en salle immersive, Denisa Craciun, postdoctorante à l'UMR LISA, animera un séminaire intitulé "Alanu di Meglio, le poète fou d’amour pour l’Île-femme-déesse"

Résumé : 

 

Alanu di Meglio, le poète fou d’amour pour l’Île-femme-déesse

Migraturi (Albiana,2004), Vaghjimi spizzati (Albiana,2009), Sintimi di sponda (Albiana,2015) sont les trois recueils de poèmes où Alanu di Meglio, professeur émérite de l’Université de Corse, poète, prosateur et parolier, déclare son amour-fou pour la Corse, cette île personnifiée, cette île-femme-déesse, cette déité à la fois personnelle et transpersonnelle. Dans un quatrième recueil collectif, Parolli in biancu è neru (Le Bord de l’eau, 2016, en collaboration avec un autre poète, Norbert Paganelli, et un artiste, le photographe Francescu Ferrara), brûlé d’amour, d’un amour qui l’aide à se recueillir, à voir plus clair en soi, et donc un amour qui signifie connaissance et alchimie intérieure, Alanu di Meglio continue la célébration, les louanges à la beauté de l’Isula. On discerne dans sa poétique une exaltation et une transmutation de l’être, qui s’exprime en termes de relations amoureuses entre l’amant humain et sa divine Bien-Aimée. Chants d’un cœur amoureux et douloureux, hymnes à l’amour et au souvenir des êtres chers passés dans l’au-delà, ses poèmes peignent le mouvement de la vie, racontent sa « brûlure », ses sonorités, ses couleurs, ses odeurs. Groupés par thèmes, les poèmes s’organisent comme une sorte de périple initiatique dans la dimension féminine de l’île, un cheminement tout au long de ses rivages, de ses côtes, de ses ports, un voyage ponctué de haltes parmi les habitants de ses cités et d’incursions imaginaires dans le monde des créatures des profondeurs de la mer ou celles des altitudes. Composé en cinq parties (« L’Isula », « Piscadori », « À cori migratu », « Testi mori », « L’Altru »), le recueil Migraturi nous fait changer constamment la perspective, son auteur souhaite qu’on s’approprie sa perception de l’île, vue en tant qu’être vivant et en tant que milieu, environnement, espace, de vie. Elle, l’Île, se révèle tantôt dans le rêve, tantôt dans le quotidien du poète, Elle est le vin et l’ivresse : « L’alloppiu di u t’abbracciu/fù stu rivazu/chetu/o viulentu/ch? mi cullarava di sciuma/è mi strignia di sali…/Ma ancu par stuppammi in faccia/par veda i to amanti novi/andà è vena nantu à i to costi marturiati,/firmariu » (p. 19). Certes, ces vers parlent d’ardeur, de l’intensité du désir, du vertige qui saisit le passionné, mais, à nos yeux, l’amour dont il est question ici c’est un amour dépossédant, anéantissant. Et oui, Alanu di Meglio sait que ce n’est qu’au croisement des voies de la poésie et de l’amour, qu’on peut comprendre ce que signifie l’anéantissement ontologique : « Essa solu una farfalla/ch? svulatighja nantu à i passi persi/o un’acqua branili/ch? si svapurighja/à u caldu di una stampa di memoria/di brasgia… » (p.38). Ce n’est qu’en dépassant le stade dit « du miroir » (Mirassi/Lascià sdrughja u spechju/senza sbrisgiulallu… », p. 39), que l’esprit, libéré de l’illusion du moi, accédera à des niveaux élevés de conscience (« Ed eccumi à aspittà/ i marosuli più alti à belli », ibidem), qu’il arrivera à s’identifier aux éléments constitutifs du corps de l’île : « papillon », « eau printanière », « menhir » (« Eccumi stantara », Vaghjimi spizzati, p. 44), c’est-à-dire pierre, minéral vivant, gardien de la mémoire du lieu (« A mimoria/ hè u sangu di a petra, Vaghjimi spizzati, p. 11). Il pourra « vivre » la vie de ces nombreux arbres qui peuplent l’île, s’épanouir comme un « cerisier » (« ci lucia un chjarisgiu », Migraturi, p. 41) ou comme un « oranger » (« Prestu sarani l’aranci/in u verdi di i so fogli », Vaghjimi spizzati, p. 59) ou bien s’attrister comme un « olivier » sous la pluie (« Piovi./S? neri i fusti di l’alivi/trosci di malincunia », id. p. 42). Mais, il ne se laissera ni abattre par la tristesse ou « noyer sous des pleurs » (M? m?…/ch? s’hè sgrignata a porta/di a mimoria. A pudiu spalancà/entra/è annigammi/di pienti inzuccarati », Migraturi, p. 56). Conscient de son savoir-faire, de son don de reconfigurer la réalité, de la remodeler par l’immense puissance de l’écriture, le poète choisit de prend le calame, ce « rai de lumière » qu’on lui tend (« Inveci/ l’aghju lasciata sgrignata/è cù a riga di luci data/aghju scrittu », ibidem), il le prend et il se met à écrire. « In fatti ùn mi socu mai dumandata da ch? scria in puisia. Aghju cercu solu à sbugiardà u bughju », disait le poète dans « Arti puetica », texte publié dans A filetta/La fougère. Onze poètes corses contemporains (Éditions Phi, Luxembourg, 2005, pp. 244-245). En effet, il écrit pour « démentir les ténèbres », pour chasser le brouillard de la mémoire, et c’est seulement grâce à cette lumière intérieure de l’âme, qu’il arrivera à rendre l’unicité de la beauté, la vivacité et la musicalité de la langue corse. Et, il continuera à écrire, parce que son Île, il l’aime à la folie, éperdument, et parce qu’aimer c’est être vivant.                      

ANDREA MATTEI | Mise à jour le 11/07/2024